Qu’est-ce que le toucher?
Le toucher est un sens qui nous permet de capter des informations de notre environnement extérieur grâce à la peau ou les mains (température, texture, dureté, pression, vibrations, mouvement, changement, formes,…). Ces informations vont nous permettre d’ajuster nos actions: par exemple une sensation de chaleur extrême va nous alerter et provoquer une émotion de peur de la douleur et nous allons nous éloigner de la source de chaleur pour nous protéger. Ou encore la sensation douce et chaude d’une couverture va nous mettre dans un état de confort qui va favoriser le sommeil.
Le sens du toucher peut être extrêmement fin et délicat, afin de ressentir des variations plus subtiles. Les doigts sont les capteurs du toucher les plus sensibles.
Ce sens devient fondamental chez les personnes non-voyantes: privées du sens visuel, elles développent et affinent la lecture de leur environnement à travers les sensations du toucher. Le nombre et la qualité des informations qu’elles peuvent détecter est plus important, ils se servent de leurs mains, de leurs doigts ou d’une extension (canne blanche) pour s’orienter, identifier un visage, lire, communiquer… aussi leur sensibilité musicale est généralement plus fine.
Dans la langue française les expressions qui utilisent le sens ou les organes du toucher sont très nombreuses, voici une sélection d’exemples “frappants”:
- Toucher juste, mettre le doigt sur, toucher du doigt : faire preuve de précision
- Toucher à sa fin : la fin d’un processus est bientôt atteinte
- Toucher du bois : conjurer le mauvais sort
- Être touché : être ému, atteint, blessé, intéressé
- Toucher à tout : avoir beaucoup de centres d’intérêts
- Toucher le fond : avoir été à une profondeur maximale (par exemple en parlant d’un état d’âme dépressif)
- Toucher de l’argent : être en possession d’argent
Qu’est-ce que toucher quelqu’un?
Toucher quelqu’un c’est établir un contact avec l’autre personne par les sensations tactiles. On utilise la main, les doigts, les lèvres, la peau, ou toute autre partie du corps. C’est échanger, écouter, apprécier ou exprimer des informations sur l’état d’une personne: physique, émotions, intentions,…
Se relier à l’autre pour ‘connaître’ son état externe (plus évident) ou interne (plus subtile) en utilisant plutôt le canal de la sensation que nous permet le toucher, sans passer par l’intellect, l’analyse et le raisonnement. Par exemple, sentir une personne transpirer, respirer rapidement et se tendre va nous révéler un état de stress.
Le toucher, combiné à la gestuelle, est un véritable langage que l’on utilise quotidiennement de manière instinctive pour communiquer ses intentions, ses émotions, ses sentiments, son rapport à l’autre:
- Une poignée de main pour initier la relation à venir: les différentes formes qu’elles peuvent prendre témoignent de l’état intérieur des personnes qui la pratique.
- L’élan d’aller à la rencontre de l’autre et l’ouverture à l’échange
- La poignée franche ‘entre homme’ pour instaurer une relation de
domination/soumission (voir les chefs d’états qui se serrent les mains) - Le “jeu de mains” des ados qui se saluent pour montrer qu’on fait partie du ‘game’…
- Les multiples postures que l’on peut adopter lorsque l‘on prend une photo avec un proche pour fixer un souvenir: on se tient par la main, par les bras, on se colle les têtes… on veut signifier au monde le lien qui nous uni, fraternité, amitié, amour, soutien, …
- On se “serre les coudes” pour exprimer une attitude solidaire, on s’unit pour mieux faire face aux difficultés, pour faire les choses ensemble.
- Prendre un enfant par la main… c’est lui donner sa présence, le rassurer, le soutenir dans une épreuve douloureuse, amorcer un dialogue pour la résolution d’un conflit, lui redonner confiance, lui transmettre une part de notre expérience et l’accompagner sur le chemin de la vie avec plus de sérénité.
- On prend une personne dans ses bras afin de recréer un lien qui a été rompu, de profiter d’un dernier échange énergétique avant de se quitter, se rapprocher, supprimer la distance, ressentir une union des énergies, consoler, pardonner, soutenir, soulager, montrer son attachement…
- Caresses et embrassades sont employées pour partager et vivre des moments d’amour en couple ou avec des êtres chers
- A l’inverse nous utilisons le poing ou l’arme (extension de la main) comme instrument de destruction pour infliger dégâts et douleurs sur le corps de l’autre, cela matérialise nos intentions agressives
- Lorsque l’on a mal quelque part, notre réflexe est d’apposer nos mains sur la zone douloureuse. Beaucoup de disciplines manuelles comme le Shiatsu utilisent le toucher pour soigner, apaiser, relaxer, détendre
- Se tenir par la main permet de se relier, de s’unir, faire la ronde en groupe en se tenant par la main permet d’exécuter un mouvement d’ensemble, les individus ne font alors plus qu’une entité
- Nous touchons le pouls d’une personne pour apprécier la qualité des battements de son coeur et juger d’un certain état vital
Cette capacité à sentir, à communiquer et à se relier par le toucher est une véritable richesse naturelle à notre disposition.
Réflexion sur le lien dans notre société
Un jour j’ai vu des images filmées en noir et blanc du tour de France dans les années 50. J’ai remarqué que le public français était très mobile, très ‘rapproché’, très lié, bras-dessus/bras-dessous, main dans la main… Cela m’a donné la forte impression d’un lien fraternel ou amical très étroit, une démonstration d’enthousiasme et de spontanéité.
Je me suis aussitôt remémoré mon expérience au Sénégal quand au sein d’une association mes amis et moi organisions des événements sportifs et culturels qui attiraient les foules: le public sénégalais est très rapproché et communique beaucoup, le contact par le toucher est très fréquent.
La tendance de la société consumériste à privilégier l’individualisme altère profondément notre lien aux autres. En excitant sans relâche notre égo par des promesses d’assouvissement de besoins primaires, futiles et égoïstes: notre mouvement naturel prend la direction du repli sur soi, le rapport à l’autre se délie et la distance relationnelle augmente au profit du “moi je”.
Avec le développement d’internet et du perfectionnisme, la communication s’établit à distance, le travail devient télétravail, la réalité se virtualise, les services se dématérialisent, les jeux sont “vidéos” et se pratiquent derrière les écrans… Les échanges se font de moins en moins “en réel”, le face à face est comme “fuit”, la présence réelle devient dérangeante, nous avons peur de la contradiction, des critiques, on préfère les messages sms au contact vocal ou visuel, on peut désormais s’exprimer ‘sans filtres’ sur les réseaux, sans ressentir l’énergie de la personne à qui on s’adresse.
On se présente au monde avec une image de soi sublimée à travers le prisme d’un selfie, image de soi bien entendu incomplète et créée de toute pièce par notre égo.
Le toucher est refoulé: la poignée de main est réduite à deux poings qui s’entre-choquent, la bise n’est plus de mise, ensemble dans le transport en commun ou l’ascenseur, notre distance de “confort” est compressée, la gêne s’installe. Nous sommes en alerte afin de ne pas toucher l’autre, les regards se fuient, le moindre effleurement et on demande pardon….
Les règles formelles de politesse participent également à cet éloignement entre le soi et l’autre: le vouvoiement, les formules de politesse à l’écrit, … certes expriment un certain respect mais elles étouffent également toute spontanéité.
Les gestes barrières pendant la période du COVID ont instauré une distance encore plus extrême puisque le toucher était carrément interdit, a cela s’ajoutent l’utilisation des masques et des gants qui occultent directement deux organes essentiels de nos sensations du toucher: les mains et la bouche.
Qu’est-ce qu’être touché par quelqu’un?
Être touché par une personne est en quelque sorte se dévoiler à elle, lui permettre de connaître et de savoir son état physiologique, émotionnel, psychologique. C’est lui donner des informations sur mon état interne profond.
Comme je ne maitrise pas vraiment les informations que mon corps transmet, je ne pourrais pas me cacher derrière l’exercice du mensonge que me permet l’usage de la parole car selon l’expression : “le corps ne ment pas”. Il n’y a plus d’illusions possibles, le message est clair et franc, à prendre tel quel.
Les différentes informations qu’elle va lire à travers le toucher vont la renseigner sur mon état émotionnel, psychique, mon stress, mon calme, … ce qui implique que j’ai une confiance solide en cette personne pour lui permettre de prendre ces informations et les utiliser en toute bienveillance.
Il y a là la notion de consentement qui est testée.
En autorisant le toucher, j’annule la distance personnelle, je tolère le rapprochement plus intime, je permet de “rentrer dans ma bulle”, de franchir mon “périmètre de protection” et de découvrir mon espace intérieur, les battements de mon coeur, mon rythme respiratoire, le détail de mes défauts et de mes blessures dissimulées, …
Je ne peux uniquement donner l’accès à ces informations aux personnes en qui j’accorde une confiance, avec qui je sens une certaine sécurité. En général soit parce que c’est une personne à qui j’ai l’habitude de me confier, soit parce que c’est une personne qui a une intention thérapeuthique. Je pense que c’est la peur d’une trahison qui motive ce choix, la peur que mes informations soient utilisées à mauvais escient (une blessure, un défaut ou une maladie dévoilée à d’autres personnes par exemple).
J’ai remarqué lors de quelques séances de Shiatsu que j’ai pu donner, certaines personnes mettent du temps à se laisser aller. Les yeux restent bien ouverts, la vigilance est activée et l’attention se concentre sur les gestes du praticien, une légère tension globale est perceptible. Comme pour contrôler sa bienveillance, s’assurer de ses intentions,… et au bout d’un certain temps la confiance s’installe, les yeux se ferment, un soupir s’échappe, la respiration se calme et le lâcher prise se manifeste.
Être touché dans une optique thérapeuthique comme le Shiatsu c’est aussi l’expérience du don de soi, du recevoir, de l’acceptation. Se délivrer, se donner, faire pleinement confiance, s’abandonner, suivre, se soumettre, se laisser guider par un rythme imposé, trouver son chemin dans la contrainte, lâcher prise et profiter entièrement des sensations procurées par le soin et l’attention du praticien.
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