Te Moana Ninamu
Carnet d'un étudiant en Shiatsu

L’oppression

En tant qu'élève et pratiquant, j'ai la chance de donner mais aussi de recevoir régulièrement le Shiatsu. Biensur, quand je suis receveur j'en tire énormément d'avantages car cela soulage mes tensions,... et j'aime beaucoup être l'objet du soin.

23 Oct 2023

Mais je suis en même temps étudiant en la matière et donc j’en profite aussi pour observer le travail de mon donneur, et faire directement la corrélation avec mes sensations internes. Parmi les nombreuses sensations, il y en a qui ont eu un très fort impact sur mon corps et jusque dans mon esprit à tel point qu’un chamboulement saisissant s’en est suivi dans mon comportement et dans ma façon d’aborder la vie. Je vous détaille ici 3 expériences mémorables qui m’ont profondément marquées. Ces réflexions et conclusions n’engagent que moi.

Première expérience: je tombe à terre !

Lors d’une longue semaine de stage, je me retrouve en binôme avec un praticien de Shiatsu confirmé pour travailler sur un exercice qui vient de nous être donné. En cette fin de journée, nous étions tous fatigués, à ce moment là ma consœur stagiaire décide de partir pour se reposer. Instinctivement j’attrapes aussitôt sa main et je lui dis: « Reste avec moi ! », ce qu’elle fit sans rechigner en s’asseyant discrètement sur un coin du tatami.

Je prends alors le rôle du receveur et comme j’ai l’habitude de faire je m’allonge, ferme les yeux, et je suis en pleine écoute de mes impressions. Mon donneur quadrille dynamiquement ma poitrine de ses pressions avec les deux pouces, cela dure quelques minutes. Puis il recouvre mes poumons de ses deux paumes, et applique une pression soutenue pendant plusieurs longues minutes.

Au début la sensation était agréable… je me sentais réconforté par la température chaude de ses mains et la stabilité de son geste… Quelques minutes passent et je suis maintenant dans un état relâché. Un relâchement physique qui fait survenir de légers tremblements de temps à autre pour évacuer les dernières tensions, plus profondes. Bientôt les spasmes se font plus rapprochés et plus intenses.

L’inconscient sort de sa tanière et se manifeste.

L’effet devient dense, il pénètre ma sphère émotionnelle, je sens une oppression enfouie depuis des années dans les tréfonds de mon coeur se dévoiler à ma propre conscience, au vu et au su de mon entourage (mon binôme et ma consœur). Une souffrance poussiéreuse qui me fait monter les larmes aux yeux et exprimer de légers sanglots que je ne peux contrôler.

A ce moment là mon binôme décide de terminer la séance et me laisse littéralement ‘sur le carreau’. Je me rabats en PLS, tout recroquevillé sur moi même, je me sens plaqué au sol et il m’est impossible de me relever, mes forces m’ont abandonnés. Ayant observé toute la scène et réalisant immédiatement ce qui se remuait à l’intérieur de moi, ma consoeur retient mon binôme et lui signifie gentiment de ‘terminer le taf’, … que l’on ne pouvait pas me laisser tel quel.

Se remettant à l’oeuvre sur-le-champ, mon donneur applique à nouveau ses mains chaudes sur mon torse. Ne pouvant plus me retenir, je fronce fort les sourcils et après quelques gémissements, j’ouvre grand la bouche pour extérioriser une fumée d’une noirceur effrayante – c’est l’image que j’ai à ce moment là dans mon mental.

Cette fumée crasseuse représente pour moi un poison, la surface d’une couche épaisse, collante, sombre et poisseuse qui enveloppe mon coeur depuis de nombreuses années. Je me sens apaisé. C’est un élan de libération qui je viens de vivre.

Lorsque je me reprends mes esprits et que je me redresse, je remercie chaleureusement mon binôme. Même si il a fait preuve d’une belle humilité devant ma gratitude en affirmant qu’il n’y était pour rien, je lui dois une reconnaissance durable. Je l’appelle désormais ‘mon sauveur’.

Il vient de toucher le fond de mon amertume, ce qui me donne le goût du chemin pour me libérer.

Je pressens que cette enveloppe de goudron est très coriace et qu’elle ne vas pas partir aussi facilement, comme un sédiment compact et tenace longuement accumulé. Il va falloir que j’y ailles à la brosse métallique ! Je remercie fraternellement ma consoeur avec qui j’ai longuement échangé sur cet épisode, elle a su jauger d’un coup d’oeil la situation et agir avec détermination et clairvoyance, quelle stabilité et quelle force, très très impressionnante!

 

Deuxième expérience: mon instinct d’animal blessé

Dernier jour de stage, dernier exercice, cette fois c’est une pratiquante professionnelle qui sera mon binôme. Elle déroule les consignes de l’étude avec calme et douceur. Après s’être occupée de mes pieds, jambes et ventre, elle s’attarde sur ma poitrine au niveau des poumons. Et là je sens un instinct animal qui se réveille en moi, mes lèvres se soulèvent pour montrer mes dents sérrées. Comme pour me défendre devant la menace de mon intégrité, de la part de mon être la plus fragile. La peur s’empare de moi, je me sens en danger et mon plexus solaire tremble de faiblesse.

Je ne suis plus moi même mais un animal blessé, je commence à grogner doucement.

Cela dure 15 minutes. A la fin de la séance je suis vraiment très secoué. Je remercie sincèrement la praticienne et je sors du dojo pour prendre l’air, faire des mouvements respiratoires, tenter de recouvrer mes esprits. Je plonge mes deux mains dans un pied de lavande pour m’embaumer le visage de sa belle aura. L’heure du déjeuner a sonné et pour la première fois je suis en retard, mes acolytes sont surpris de voir la place vide que ma consoeur m’a réservé à ses côtés. J’ai pris du temps car j’étais toujours dans la peau de cet animal blessé. Lorsque je me suis assis à table, je ne pouvais plus ni parler, ni manger, et cela se voyait. J’ai dû ressortir prendre l’air quelques minutes avant de me sentir de nouveau moi même. Expérience choc.

 

Troisième expérience: remontée en surface

6 mois plus tard: séance de révision chez moi avec un camarade étudiant. Il arrive chez moi à 14h en pyjama. Il est malade depuis 10 jours, il est faible. Je prends soin de lui, et à la fin il me dit: « Moana, on a jamais pris soin de moi comme ça ! ». Alors que son énergie remonte, sa motivation s’enflamme et il décide de me ‘rembourser’. Après avoir révisé ses mouvements du Shiatsu sur le côté, il improvise sa pratique et se place derrière ma tête. Il pose une main en plein milieu de ma poitrine et exerce une pression puissante et soutenue.

Ce genre de pression qui vide vos poumons. J’expire jusqu’à épuisement de mon souffle et j’attends patiement qu’il relâche la pression dans le but de reprendre une grande inspiration et enfin regagner mon énergie.

Seulement voilà : Il ne bouge pas, … je patiente, … il est impassible, … pas un signe de relâchement, … rien, …aucun espoir !

Quand je n’en peux plus et que mon réflexe de survie prend le dessus sur ma volonté, pour ne pas contredire sa pression sur mes poumons, je respire plus bas avec le ventre et je parviens à installer une respiration très minimaliste. Je me laisse aller,  je baisse la garde, j’abandonne ma carapace. Le lâcher prise prend place. Les tremblements, les petits sanglots et l’oppression reviennent. Des références aux peines entassées de mon histoire personnelle ressurgissent. Enfin le soulagement s’établi. Je vis quasiment le même scénario que la première expérience citée plus haut.

 

Voici mon analyse personnelle:

Notre société est construite sur des lois, dogmes, règles, protocoles, codes, relations familiales, injonctions, qu’en dira-t-on, comparaisons, compétitions, valorisation du plus fort, rejet des faiblesses… Le respect de celles-ci est assuré par les avertissements, les amendes, les punitions et même aujourd’hui avec la surveillance automatisée.

L’échec est blâmé. L’erreur se paye.

Que l’on soit d’accord ou pas avec ces règles, il n’empêche que la situation est psychologiquement dense: elle génère le stress, la peur, la culpabilité, la dévalorisation de soi, la perte de confiance, l’abandon et enfin la soumission. Difficile de s’en sortir indemne dans un tel contexte hautement anxiogène.

Quelle tristesse de voir ces comportements de dévalorisation de soi ! Nous ne croyons plus en nous même, nous avons perdu l’écoute de notre coeur, nous avons perdu la créativité et le développement de nos capacités, la respiration calme… C’est ainsi notre lumière intérieure s’éteint.

Le Shiatsu considère que le corps et l’esprit sont unifiés. Les poumons sont la représentation de notre frontière avec l’extérieur, notre protection contre les agressions exterieures, c’est l’énergie défensive. Trop fermée: elle est notre carapace impénétrable, nous avons des difficultés à recevoir, nous sommes sur la défensive. Trop ouverte: elle laisse les intrusions toucher l’organisme de plein fouet.

Dans ce cas précis je pense que par le toucher nous faisons ressentir au corps l’oppression respiratoire, cela a pour effet de contacter l’esprit en profondeur pour libérer ce sentiment d’oppression emmagasiné depuis des années dans l’inconscient, mais qui pourtant est bel et bien présent dans nos actes, paroles et émotions.

5 Commentaires

  1. Mounia

    Magnifique Moana !
    Je salue ton courage de te dévoiler ainsi et de nous livrer en toute confiance ta sphère intérieure et je t’en remercie.
    Je te félicite d’avoir pris le temps d’observer, et de mettre en mots tes ressentis lors des séances. Ton témoignage est vraiment précieux pour les étudiants et aussi pour les plus aguerris.
    Bravo mon frère,tu es beau !

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  2. loic GOURMELON

    Moana…..je suis impressionné par ta quête pour te retrouver….
    envieux peut-être un peu aussi car je n’ai pas le courage d’une demarche aussi profonde et radicale…
    Bravo..

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  3. Élodie

    Quel article !! Merci beaucoup 🤩
    Ces expériences font partis des moments forts de la Vie qui permettent d’accéder au Dharma (véritable connaissance de Soi et de son chemin de Vie) 🙏🏼✨
    Etres-connectés et miroir de chacun, merci de m’avoir pris la main ce soir-là pour assister à la renaissance d’une part de toi 🙏🏼

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  4. Bernard Bouheret

    Merci de ce partage ami Moana
    Là on est dans la vérité du soin, là on ne triche plus, là on est confronté à sa fragilité d’homme.
    Nul doute que cela fera de toi un bon thérapeute bienveillant et compatissant.
    La vie est comme une Mère qui cherche à nous guérir et qui peut prendre les mains des Shiatsushi pour le faire.
    Bienvenue au club des hommes -vrais, sincères, lunmineux.
    Bien à toi
    Bernard

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  5. Roselyne GOBERN

    Pour ma part, je n’ai absolument aucune notion concernant le shiatsu et les autres pratiques thérapeutiques asiatiques, et c’est le cas de le dire, « c’est du chinois » pour moi. J’ai donc parcouru tes carnets juste parce que je te connais, par confiance, sachant que si tu te passionnes pour quelque chose ça doit être passionnant. Et je ne suis pas déçue ! Tes notes sont extrêmement agréables aussi pour un néophyte, simples, sans jargon, en même temps précises, une mise à nu d’une sincérité très émouvante, d’une grande qualité pédagogique donc(c’est ma spécialité), ça donne vraiment envie. Je te remercie énormément de m’avoir ouvert cette porte. J’ai déjà expérimenté des séances de thérapies énergétiques qui ont provoqué de fortes réactions physiques. Je sais que rien n’arrive par hasard, que tôt ou tard je trouverai des séances de shiatsu à Tahiti, et que ça me fera le plus grand bien, même si je n’en ressens pas un besoin immédiat. Merci Moana d’être qui tu es, merci à la vie de m’avoir offert de croiser ta route.

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